Une nouvelle étape pour le capitalisme à partir de 1945
Cest la fin de la Seconde Guerre mondiale qui clôt la phase impérialiste débutée à la fin du XIXe siècle. Alors que le Royaume-Uni navait jamais été dans une position de force pour imposer ses règles, les Etats-Unis, capital le plus développé (défendant ses intérêts et ceux du capital pris dans son ensemble), soutenus par leur surpuissance économique et militaire, mènent une politique systématique visant à briser les entraves à lexpansion du capitalisme, en imposant les règles dun nouveau développement : décolonisation, libre concurrence, libre-échange, densification et extension des marchés capitalistes, disparition de la paysannerie, généralisation du salariat et de la production industrielle. Dans le sens de cette politique, et dans le cadre de la stratégie dendiguement de lURSS (afin déviter que des pays affaiblis ne tombent dans la sphère dinfluence de celle-ci), ils mettent en place les accords internationaux et les instances de contrôle et de régulation exigés par la nouvelle dimension internationale de léconomie (Bretton Woods, GATT, FMI, OCDE ) et promeuvent le système politique approprié : la 'démocratie' accompagnée de lidéologie des droits de lhomme.
Par cette politique, les USA vont contribuer à débarrasser le capitalisme des vestiges de limpérialisme, permettre ainsi un développement sans précédent du capital. Une autre période de la vie du capitalisme souvre : le système, dabord par une 'internationalisation', commence à embrayer sa logique interne, puis la pousse jusquà son aboutissement, la 'mondialisation', qui est en train de se mettre en place. Le développement des moyens de communication et de linformatique va accélérer considérablement cette tendance.
On peut dire sur ce point que, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, cest une bourgeoisie adulte et désormais plus consciente de ses intérêts, des nécessités réelles de son système ainsi que des rouages de laccumulation, qui émerge. Une bourgeoisie qui tend à se débarrasser de ses propres visions idéologiques antérieures. Ces visions, tels les buts de conquête territoriale assignés à la Première Guerre mondiale, dominaient avant 1914 et se sont maintenues ainsi jusquen 1945 comme des archaïsmes dun passé révolu. Le nazisme, de ce point de vue, est caricatural en ce qui concerne le retard de la conscience bourgeoise sur le propre développement effectif de son système et de ses nécessités modernes.
Le concept dImpérialisme ne peut plus être
utilisé
comme il la été au début du siècle
Sil existe des similitudes entre limpérialisme avant 45 et des situations plus récentes, elles ne sont en général que formelles ; elles ne peuvent être assimilées sur le fond.
Limpérialisme, comme on la vu plus haut, trouve son origine dans une volonté dexpansion territoriale des capitaux nationaux, qui vont dans un premier temps saccaparer les territoires encore disponibles, puis saffronter militairement une fois le partage du monde achevé. Cette concurrence a pour particularité de concerner en premier lieu les nations les plus développées économiquement : ce sont elles qui aspirent avec le plus de force à avoir de nouveaux marchés, et cela se traduit, dans la logique de la première moitié du XXe siècle, par le fait que, si lon ne dispose pas déjà dun confortable empire colonial (comme la France et lAngleterre), il faut entreprendre des conquêtes territoriales. Plus développés sont les capitaux nationaux, plus fortes seront les tensions impérialistes entre ces nations. Ce schéma se vérifie (en partie seulement) avec les deux guerres mondiales.
Mais depuis 1945, plus jamais on ne retrouve une telle configuration. La logique de lextension capitaliste ne passe plus, pour lessentiel, par laccaparement de marchés grâce à la conquête de territoires, autrement dit limpérialisme... Cette idée (qui navait pas tellement de sens déjà avant 1945) est devenue absurde : lAllemagne et le Japon ont connu un développement exceptionnel dans laprès-guerre et ont pu écouler leur production à létranger sans conquêtes territoriales. Les nations les plus développées (USA, Allemagne, Japon, France, Royaume-Uni), celles entre lesquelles auraient dû se développer des tensions impérialistes de plus en plus vives, nont pas connu de conflits territoriaux majeurs.
A contrario, la plus grande rivalité de laprès-guerre, celle entre les Etats-Unis et lURSS, ne correspondait absolument pas au schéma de limpérialisme tel quon la vu : la rivalité ne se plaçait pas sur un plan de concurrence économique lié au trop plein de développement du capitalisme.
On peut faire le constat suivant : cest en pleine période de croissance (45-75) que les tensions 'impérialistes' ont été les plus vives (Corée, Vietnam ). Depuis, alors que la croissance est moindre, que la concurrence est avivée et que lon a même pu parler de guerre économique, jamais les perspectives de guerre mondiale nont été aussi lointaines.
On assiste donc depuis 1945 à un découplage entre rivalités économiques des grandes puissances capitalistes et tensions 'impérialistes'. La notion dimpérialisme (définie par les marxistes du début du siècle), ou bien perd tout son sens, ou bien change de définition.
La guerre de Corée. La rivalité entre les Etats-unis et lURSS ne se plaçait pas sur un plan de concurrence économique.
Les tensions 'impérialistes' depuis 1945
Si lon passe dun schéma général à lanalyse concrète des rapports entre les principales puissances capitalistes depuis la Seconde Guerre mondiale, on constate que les vieilles habitudes impérialistes nont pas disparu comme ça du jour au lendemain : la décolonisation na pas été acceptée facilement par les bourgeoisies nationales, les contre-tendances ont été bien réelles et jouent encore un rôle non négligeable.
Ce quon appelle la 'pax americana' au Moyen-Orient et toutes les manifestations voisines, ayant un caractère de maintien de 'chasses gardées' (telles les politiques de la France vis-à-vis de ses anciennes colonies africaines), peuvent se comprendre comme relevant peu ou prou de limpérialisme à lancienne.
Une analyse en profondeur de la question des tensions 'impérialistes' depuis 1945, et surtout dans la période actuelle, depuis la disparition du bloc de lEst, reste à faire.
Les guerres du Golfe et de lex-Yougoslavie ne peuvent plus être interprétées selon les schémas classiques de limpérialisme hérités du début du siècle, comme continuent de le faire le CCI, et dautres groupes prolétariens (voire certains camarades dans le cercle, notamment à loccasion de la discussion autour du tract sur le Kosovo). Cest dans le cadre de la mondialisation en cours et des rapports entre la super-puissance américaine (dont le rôle est historiquement inédit), les autres pays développés et le reste du monde quil faudrait les analyser.
Ce qu'on appelle la pax américana
Deux remarques :
Au contraire, les Etats-Unis, dans le cadre de leur politique d'endiguement' vis-à-vis de lURSS, aident à reconstruire les pays dEurope occidentale (plan Marshall) ; par-là même, ils vont à lencontre des principes de limpérialisme : si, dans un premier temps, cest pour eux un débouché, ces pays deviennent rapidement des concurrents au niveau mondial. Pourtant, face à lURSS, la meilleure façon pour les Etats-Unis de préserver et détendre leur zone dinfluence consiste à favoriser au maximum le développement du capitalisme et lintégration dans le marché mondial.