Le document présenté ici correspond à un certain degré de mise en forme quon appelle volontiers procès-verbal. A la base, il sagit en effet du simple relevé des notes que nous avons prises lors des séances de discussion évidemment orale sur le sujet donné que notre cercle a tenues il y a environ deux ans. Au moment de le mettre sous presse, nous avons ajouté des paragraphes de liaison et, en plusieurs endroits, enrichi les notes volantes grâce à des textes de contribution individuelle. On lira les prises de parole des camarades typographiquement composées avec des guillemets. Nous aurions pu donner à ce travail un tour, comment dire ? plus synthétique. Tout bien considéré, nous estimons quil nest au contraire pas mauvais de le livrer en cet état. Il est de la sorte bien fait pour permettre au lecteur, du moins lespérons-nous, de se former un aperçu assez vivant de la dynamique de notre débat et de la pensée des participants en pleine gestation. Comme, aujourdhui encore, nous ne croyons pas posséder une idée définitive sur le sujet, la forme du procès-verbal sadapte bien à létat progressif de notre réflexion. Certes, celle-ci a marqué des évolutions depuis 1998. Mais pas fondamentales. Aucune vision nouvelle ne sest ajoutée ; il faut plutôt parler dajustement des positions ou de changement de position de tel camarade se ralliant à celle dun autre. Aussi bien, le document garde aujourdhui sa valeur essentielle.
1. Nous posant la question de savoir dans quelle mesure était fausse ou vraie la perception que le CCI avait des réalités extérieures, cest-à-dire la situation économique du capitalisme et le rapport des forces prolétariat-bourgeoisie, il était inévitable que nous croisions la question du "cours historique". Cette notion, sans conteste, est centrale dans lappareil théorique du Courant.
Nous reviendrons plus loin sur le concept en détail mais, dès maintenant, disons ici rapidement et en gros, pour fixer les idées, de quoi il sagit. Il répond à la question : est-ce que la période est favorable ou non au développement révolutionnaire des luttes ouvrières ?
Il est évident quune telle question détermine lactivité des révolutionnaires. Ceux-ci nont pas les mêmes tâches selon que la classe ouvrière est en position davancée, de stagnation ou de recul historique. Ils nont pas exactement les mêmes choses à dire au prolétariat. Il leur faut, selon le cas, soit lutter à contre-courant de la classe et de ses illusions, soit se porter à lavant de son mouvement, pour léclairer et laccélérer du mieux possible. Rien ne garantit naturellement les révolutionnaires contre les erreurs danalyse mais il importe quils se forgent une interprétation de la réalité. Tous les groupes marxistes du passé, même en employant des mots différents pour la désigner, ont reconnu cette exigence. La notion de "cours historique" est notamment capitale afin de tracer des perspectives daction à court, moyen et long termes.
2. Sur ces généralités, il ny a guère eu matière à controverse au sein de notre cercle. Nous sommes tous daccord avec la nécessité de déterminer pour le prolétariat la nature favorable ou contraire du rapport des forces bourgeoisie-classe ouvrière. Tirées de notre débat, voici trois citations indicatives à ce niveau :
Maud. "Le "cours historique" est un outil indispensable en tant quétude de la direction générale dans laquelle évoluent les évènements sociaux. Comprendre ceux-ci, cest dégager les tendances dominantes de la réalité sociale. A partir du moment où lon considère, premièrement, que le capitalisme nest pas plus un mode de production éternel que lesclavagisme ou le féodalisme et, deuxièmement, que lhistoire, cest lhistoire des luttes entre classe révolutionnaire et classe conservatrice de lancien mode de production, on ne peut éviter de se poser la question du rapport des forces entre les classes antagonistes de la société.
Cest dans ce cadre très général que lon peut intégrer les notions dégagées par les révolutionnaires du passé, telles que la formulation "socialisme ou barbarie" de Marx ou lidée que "nous sommes entrés dans lère des guerres et des révolutions", exprimée par les courants de gauche de la IIe Internationale en 1914-1918. En ce sens, la notion de cours historique reste une clé de voûte de la compréhension de la dynamique de la réalité sociale daujourdhui."
Paul. "Il faut rappeler que les révolutionnaires ont toujours déterminé des périodes différentes dans la lutte des classes, révolutionnaires ou contre-révolutionnaires. Sur lidée des flux et reflux plus ou moins importants et profonds que rencontre la marche de la lutte ouvrière, on ne peut quêtre daccord. Cela dit, force est dadmettre que les révolutionnaires se sont de nombreuses fois trompés sur lanalyse de la période dans laquelle ils intervenaient. Citons, parmi beaucoup dautres exemples, le cas du Parti communiste ouvrier dAllemagne (KAPD) dans les années 1920 et, plus proche de nous, celui de lorganisation dont le CCI est issu, la Gauche communiste de France (GCF), au début des années 1950."
Véronique. "Ces considérations, au plan marxiste, tombent sous le sens de sorte que, si le CCI a bien fait de sappuyer dessus, il ny a pas de quoi lui tresser des lauriers. Au demeurant, le besoin détablir des prévisions sur la base de lanalyse dune situation donnée ne se fait pas sentir que chez les révolutionnaires. Cest une nécessité universelle de laction humaine."
3. De lanalyse de la vague mondiale de luttes ouvrières des années 1968-1973 et de celle de lentrée du capitalisme dans une nouvelle crise économique aiguë, le CCI a tiré la prévision que se rouvrait pour le prolétariat un cours historique de montée des luttes sociales devant aboutir à lassaut du pouvoir bourgeois.
Cette vision de la perspective révolutionnaire, déjà nettement affirmée au début des années 1970, lorsque le CCI nexistait pas encore mais seulement deux noyaux de celui-ci, en France et au Venezuela, a reçu sa conceptualisation générale à la fin des années 1970.
Il nest pas inutile de rappeler quelle élaboration particulière du concept de "cours historique" pour la période post-1968 le CCI a effectuée.
Auparavant, disons encore quelques mots du contexte dans lequel le développement théorique saccomplira. De 1970 aux alentours de 1977, le Courant disposait donc de lidée globale que les évènements allaient dans le sens des intérêts de la classe ouvrière et interdisaient par voie de conséquence à la bourgeoisie la voie dune troisième guerre mondiale. Pourtant, dans la seconde moitié des années 1970, il devint patent, au travers dun net regain dopérations impérialistes de grande ampleur en Afrique (Zaïre et Mauritanie) et au Moyen-Orient (Liban, Israël, OLP), comme un peu plus tard à propos de lintervention "soviétique" en Afghanistan, que, même si la voie de la mondialisation de la guerre nétait pas libre, cela nempêchait nullement les blocs militaires (Ouest et Est) de la bourgeoisie qui existaient alors de diligenter et même daccélérer sérieusement des préparatifs dans ce sens. Cette donnée, pensa le CCI, ne remettait pas en cause laffirmation générale du cours prolétarien mais pouvait la faire paraître paradoxale. Il sagissait donc daffiner les concepts forgés vers 1968-1970.
Cela dautant plus que, lors du cycle de conférences internationales qui se déroula entre groupes révolutionnaires à la fin des années 1970 (en particulier avec le parti italien Battaglia Comu-nista), la problématique du cours historique fut beaucoup discutée parce que les groupes interlocuteurs du CCI rejetaient son idée de la montée des luttes ouvrières depuis 1968. Quelle était donc la nouvelle élaboration théorique du CCI ?
Yann. "Cette conceptualisation repose sur un ensemble didées de base :
la crise économique du capitalisme connaît une tendance générale à laggravation ;
laggravation de la crise économique tend à exacerber la lutte de classe, et laboutissement de cette tendance est une révolution sociale ;
laggravation de la crise intensifie les antagonismes interimpérialistes, et la concrétisation maximale de cette tendance est la guerre mondiale ;
la concrétisation de chacune de ces deux tendances dépend en dernière instance de la conscience du prolétariat ;
au-delà dun certain degré de concrétisation, ces deux tendances sexcluent mutuellement, le prolétariat ne pouvant simultanément développer son antagonisme avec la bourgeoisie (comme limplique le développement dune démarche révolutionnaire) et réduire cet antagonisme (comme lexigerait sa participation massive dans un conflit impérialiste généralisé)."
Walter. "Synthétiquement, on peut rapporter cette conceptualisation ainsi : il sagit de discerner, dans le jeu dopposition entre les forces qui poussent les luttes ouvrières vers la révolution et celles qui conduisent la bourgeoisie vers la guerre, la dynamique qui domine objectivement et imprime son orientation générale à lépoque actuelle. Cette vision nappréhende pas séparément les potentialités des deux camps mais les déduit de leur confrontation. Par définition même, la notion de cours est incompatible avec la conception (notamment défendue par le groupe italien Battaglia Comunista) selon laquelle la dynamique dune époque capitaliste donnée pourrait être indéterminée ou ambivalente : ni favorable au prolétariat ni propice à la bourgeoisie ou bien parallèlement bénéfique pour les deux camps, avec une sorte de course de vitesse entre les parties antagonistes. Et, puisque le concept du CCI place directement au centre du mouvement réel de la période le rapport des forces entre bourgeoisie et prolétariat, il renferme lidée principielle que ce mouvement, qui jouerait actuellement en faveur de la classe ouvrière, peut sinverser.
Bien entendu, sagissant dune dynamique à léchelle historique, linversion de tendance, qui bénéficierait alors aux desseins de la bourgeoisie dont la guerre ne saurait pas découler dévènements conjoncturels et locaux mais dune chaîne de faits graves, de large amplitude au niveau mondial et répétés selon une même direction. Par exemple la montée des luttes ouvrières à la fin de la Première Guerre mondiale, qui incitera les bourgeoisies à conclure larmistice et mènera le prolétariat à la révolution dOctobre. Ou encore la suite de défaites que les tentatives révolutionnaires des classes ouvrières dEurope de lOuest enregistreront dans les années 1920, qui aboutiront au triomphe de la contre-révolution après 1927."
Le camarade Walter précise en outre que "le CCI a toujours déclaré avoir trouvés préformés dans les textes de la Fraction italienne en exil (Bilan) les éléments de sa théorie du cours historique, notamment au travers de la position défendue par Vercesi et ses camarades face aux évènements dEspagne de 1936-1937". Nous ne pouvons pas ici, sans risquer de sortir de notre axe, nourrir la polémique sauf à avertir que la lecture "non orientée" des textes "italiens", sur ce sujet comme sur dautres, ne conduit pas forcément aux conclusions du CCI, pensent les camarades Véronique et Walter qui ont eu loccasion de retourner aux dits textes. Les choses ont rarement la netteté définitive que déclare de manière péremptoire y relever le Courant dans le sens qui lui convient le mieux. Disons quil y a les contributions de la Gauche italienne et puis les interprétations unilatérales quen ont forgées la GCF et son héritier le CCI. Tout comme Battaglia Comunista, pour ses propres fins, tout aussi dogmatiques, en produit dautres, opposées. Mais reprenons le fil.
4. Lanalyse selon laquelle 1968 aurait donc marqué la fin de la période de contre-révolution initiée en 1927 et ouvert une dynamique de montée des luttes ouvrières jusquaux affrontements décisifs avec les forces bourgeoises, tous les camarades du cercle, quand ils étaient membre du CCI, lont partagée au moins jusquaux premières années 1980 (pour certains dentre nous) ou vers la fin de cette décennie (pour dautres). De même lidée que seule une défaite mondiale des luttes ouvrières pourrait déterminer un renversement de ce cours historique. Ou encore, autre affirmation dérivée de la théorie du Courant, la thèse posant que le cours est dautant plus sûrement polarisé par la classe ouvrière que celle-ci freine par ses luttes économiques la concrétisation des tendances guerrières de la bourgeoisie.
Nous sommes aujourdhui beaucoup plus circonspects. A des degrés de profondeur dailleurs différents, certains dentre nous étant enclins à tout remettre en question alors que dautres continuent de considérer comme valables plusieurs éléments de la théorie et portent avant tout leur critique sur le mésusage quen a fait le CCI à partir des années 1980. Quel que soit notre positionnement, cependant, nous sommes tous interpellés par cette question toute bête et implacable : "Que vaut une prévision de révolution qui ne sest pas encore concrétisée plus de trente ans après avoir été lancée ?" (Paul.) Et, non moins lancinantes, ces autres interrogations : ny a-t-il pas une limite temporelle à la validité de toute prédiction ? alors que la progression des luttes ouvrières est manifestement bloquée au moins depuis dix ans, quelle pertinence conserve lorientation du cours historique que continue de soutenir aujourdhui le CCI ? En quoi les bases analytiques que le Courant a définies après 1968 expliqueraient-elles encore la situation actuelle ?
5. Pour revenir à lexposé de nos discussions, nous présenterons contradictoirement les deux familles dopinions signalées, en commençant par les camarades qui valident certains aspects de la théorie du CCI :
Yann. "Lensemble des éléments théoriques (ceux qui figurent dans la citation du camarade donnée plus haut) demeurent à mon avis, dans leur contenu le plus général, corrects et indispensables pour comprendre la dynamique historique de notre temps, tout comme le cadre général de lanalyse de la décadence du capitalisme. Lessentiel des erreurs du CCI ne provient pas de la fausseté du cadre, de la trame théorique générale de départ, mais de la façon schématique dont le Courant sest servi de celle-ci. Il y a eu ainsi :
ignorance des facteurs qui contrecarrent laggravation de la crise économique. Nous avons été incapables de comprendre les périodes de reprise économique parce quelles navaient pas de place dans notre canevas ultrasimplifié dune chute irréversible ; mais nous nous interdisions du coup de réellement comprendre les périodes de récession et plus globalement les mécanismes du mouvement général.
ignorance des facteurs qui contrecarrent la tendance à ce que la crise économique exacerbe la lutte de classe. Nous avons ainsi, dans un premier et long temps, nié le rôle paralysant du chômage pour ne le reconnaître tardivement que sous la forme sinistre de la théorie des "effets négatifs de la décomposition".
ignorance des facteurs, autres que la lutte de classe, qui contrecarrent la tendance à la généralisation des conflits impérialistes (existence des armes atomiques, internationalisation de la vie du capital, etc.).
A mon sentiment, la perception originellement simpliste et immédiatiste des fondements du concept de cours historique traduit en partie la réalité de la fin des années 1960 et du début de la décennie suivante, qui avaient connu lapogée de la guerre du Viet-nam. Lattitude schématique du CCI par la suite et son incapacité à remettre en question les formes simplistes du départ lont conduit à la caricature de ses propres positions de fond...
Des camarades diront peut-être que la question qui se pose est de savoir si les tendances contrecarrantes du capitalisme, que le CCI a mal pris en compte, ont fini par prendre le dessus sur celles quelles contrecarrent (cest-à-dire celles que le Courant pose dans son analyse du cours historique et que, moi, je continue de croire fondamentalement vraies au-delà des schématismes) au point de devenir elles-mêmes les tendances historiquement dominantes et donc traçant les contours de lavenir. Peut-être faut-il en discuter mais, en tout état de cause, attention à ne pas vouloir dire que le capitalisme soriente vers une perspective de paix sur le plan social aussi bien que militaire, ce qui me semble une absurdité contredite par la réalité."
Maud. "Il est clair que, vingt ou trente ans après, la réalité a complètement infirmé les hypothèses de base émises par le CCI. La première conclusion à tirer, cest au minimum que le Courant sest trompé sur le rythme de lévolution historique et donc du rapport des forces entre les classes. Aucun des termes de son alternative guerre ou révolution ne sest réalisé. Doit-on pour autant remettre en question les causes qui ont présidé à lanalyse, à savoir les liens crise-guerre et lutte de classe-guerre, comme une tendance sen est dessinée au cours de nos discussions ?
Je ne le pense pas. De manière générale, mais pas absolue, les attaques antiouvrières liées à la crise économique conduisent à une riposte plus ou moins nette du prolétariat. Toutefois, défendre cette idée nimplique nullement de conclure à un automatisme entre crise et luttes ouvrières. Je fais toujours mienne cette idée que le CCI soutenait dans un rapport pour le congrès international de 1979 : "Le cours de de la lutte de classe prolétarienne, quoique étroitement lié au déroulement de la crise économique, nen est pas un produit mécanique. Il est aussi déterminé par toute une série de facteurs superstructurels."
Sur la question du lien crise-guerre, le Courant a eu tendance à tomber dans une vision schématique. Pour lui, la crise catastrophique ouverte à la fin des années 1960 ne pouvait que conduire la bourgeoisie à une guerre mondiale généralisée une fois battu physiquement et idéologiquement le prolétariat. Tout son raisonnement fut durant des années conditionné par le fait que la bourgeoisie se préparait à la guerre. Il a écarté de son analyse le fait que le capitalisme pouvait survivre pendant plus de trente ans sans extension des conflits locaux. Or il y a une différence entre dire que la guerre, en prenant un caractère de permanence, est devenue le mode de vie du capitalisme décadent (idée reprise de la GCF) et le fait de ne voir une "solution" capitaliste à la crise que dans la guerre mondiale, vision qui accompagnera le CCI dans toutes ses analyses des conflits locaux. Mais, une fois signalés les schématismes et réductionnismes du CCI, il faut rappeler que toute la période de décadence témoigne de liens étroits entre crise économique et conflits locaux."
6. Un premier camarade va plus loin que cette critique de schématisme. Selon lui, cest le fond même qui est sujet à caution :
Véronique. "Pour ma part, je rejette le terme de cours historique, au moins dans lacception que pratique le CCI. Cette acception va au-delà du besoin détablir des prévisions. Faire des prévisions à partir de lanalyse dune situation est indispensable mais attribuer à ces prévisions le statut de certitude, en écartant tout autre possibilité, nest ni marxiste ni scientifique en général, même si lanalyse ne peut donner aux hypothèses concurrentes des contours précis à un moment donné. Une telle attitude, que le CCI a manifestée, sous-entend en tout état de cause lidée dun mouvement tendant vers une direction en quelque sorte prédéfinie, ce qui ne correspond en aucune façon au mouvement réel de la société et du monde.
Le cur de lanalyse du cours historique qua développée le CCI, sappliquant à la période qui commence en 1968-1972, repose sur la mise en avant de lalternative guerre ou révolution. Cette alternative est déclarée comme la seule possibilité historique : cest forcément et exclusivement lun ou lautre terme. Elle est posée comme un axiome non vérifiable, par définition, et indiscutable. Par conséquent ne peuvent être remis en cause chacun des postulats qui le constituent : la crise économique va rapidement ravager le capitalisme et le système est voué à un proche effondrement ; la crise va obliger les ouvriers à développer leur lutte et leur conscience au long dune succession davancées et de reculs, chaque progression partant du point le plus haut atteint par le flux précédent pour franchir un palier supérieur; la crise pousse la bourgeoisie vers la guerre mondiale ; tendance à laquelle le prolétariat est seul capable de faire obstacle... Trente ans après, rien de tout cela ne sest vérifié mais les axiomes demeurent en place.
Le CCI a voulu donner un sceau scientifique à son axiome en transposant la situation de la période de 1929-1936 à celle daprès 1968. Mais la période de lentre-deux-guerres est tout à fait exceptionnelle, très spécifique, dans la vie du capitalisme au XXe siècle et, comme telle, ne peut servir de référence centrale. Elle nest pas reproductible. Lassise théorique du Courant se montre donc erronée à ce niveau.
Au surplus, quelle place, au moins depuis leffondrement de limpérialisme dit soviétique mais peut-être en remontant à une date nettement antérieure (cest à approfondir), peut continuer doccuper le facteur guerre même à lintérieur du système danalyse du CCI ? Ne peut-on pas aujourdhui faire lhypothèse que la guerre ne représente plus un mode daction privilégié et efficace pour la bourgeoisie ?
En tout cas, la problématique de lembrigadement du prolétariat perd de son acuité. Ce nest pas seulement ni principalement le frein que constituent les luttes revendicatives ouvrières qui explique, à compter de 1990, pourquoi la troisième guerre mondiale ne peut saccomplir. Du coup, cest un pan essentiel de la construction théorique du CCI qui seffondre, celui où lon affirme que la meilleure preuve que le cours historique demeure favorable au prolétariat réside en cela que la classe ouvrière barre la voie de la guerre à la bourgeoisie internationale."
Aux yeux dun second camarade également, les deux termes guerre ou révolution par lesquels le CCI a défini la perspective du monde après 1968 étaient faux. Sur la question de la guerre, plus particulièrement, le camarade argumente dans un sens assez voisin de celui de Véronique :
Xavier. "Pourquoi la guerre na-t-elle pas éclaté durant la période 1968-1989 ? Le CCI répond en parlant du non-embrigadement idéologique du prolétariat. Comment ne pas toujours se persuader que la classe ouvrière est sur la bonne voie ? Comment ne pas préférer voir dans tout affrontement sur le terrain des luttes économiques des avancées en terme de conscience puisque, sinon, cest lapocalypse nucléaire, de laquelle le Courant entrevoit très peu de chances sinon aucune quune révolution ouvrière surgisse comme en 1917 et qui serait donc pratiquement la mort de lhumanité... Il y a la vision du CCI, quil dit hériter du marxisme et de la tradition de la Gauche communiste, et puis la réalité. Ne pouvons-nous pas tout simplement considérer que la guerre mondiale nest plus, depuis 1945, à lordre du jour, indépendamment de la situation dans laquelle se trouvent le prolétariat et léconomie capitaliste ?"
Et dinsister sur cette idée que le CCI, du haut de ses certitudes théoriques, a lhabitude décarter très dédaigneusement : "La guerre est-elle encore envisageable depuis lentrée de lhumanité dans lère atomique ? Dans le déclenchement dune guerre, a fortiori dun conflit planétaire, il y a toujours, quoi que le CCI (et dautres) dise par ailleurs de lirrationalisme de la bourgeoisie et du système capitaliste au XXe siècle, une dose de rationalité. Quel intérêt un camp impérialiste aurait-il à déclencher le feu nucléaire sur ladversaire si cest pour hériter chez celui-ci, comme sur son propre territoire dailleurs, de ruines radioactives ?"
Paul, ajoutant son coup de pioche à la déconstruction de la théorie du CCI du cours historique, fait valoir ceci : "Qui dit période contre-révolutionnaire ne veut pas forcément parler de cours à la guerre. De 1945 à 1968, cest une période de contre-révolution dans le sens que lépoque apparaît complètement favorable aux desseins de la bourgeoisie alors que le prolétariat se trouve toujours dans la situation de défaite où il est entré à la fin des années 1920, déroute encore aggravée par son enrôlement dans la guerre de 1939-1945. Un groupe comme celui de la GCF, lancêtre du CCI, pronostiquait dailleurs en 1952 le prochain déclenchement de la troisième guerre mondiale. Eh bien, en dépit de la grande faiblesse de la classe ouvrière, cette guerre na pas eu lieu. Il sagit pour le moins de découpler les termes état de défaite du prolétariat et tendance à la guerre du capitalisme."