Notes : Dynamique du capitalisme au XXe siècle et décadence

 

Voici les principaux points abordés dans ces notes :

1°) Est-ce que 1914 marque le début de la période de décadence du capitalisme ?

(Y a-t-il saturation relative des marchés à cette date) ?

- L’analyse de l’impérialisme par Luxemburg

- L’impérialisme ne poursuit pas la 'mission progressive' du capitalisme, il ne va pas dans le sens d’une généralisation du mode de production capitaliste

- La fin du partage du monde entre les puissances impérialistes exprimée par la Première Guerre mondiale ne signifie pas que le capitalisme ait atteint ses limites d’expansion

- En 1914, les possibilités de développement du capitalisme sont immenses

2°) Le XXe siècle et surtout depuis 1945 : un développement sans précédent des forces productives

3°) La rupture de 1945

4°) Les tendances : le capital devient 'apatride' et le cadre de l’Etat-nation est dépassé d’un point de vue économique

5°) Quelques questions plus larges concernant la décadence

   

Les discussions au sein du cercle

  Au début de nos discussions, le cadre théorique de la décadence ne faisait pas l’objet de remises en cause. Mais, au fur et à mesure, la prise en compte de la réalité a fait son chemin dans nos esprits. Certains faits que nous ignorions dans le CCI (ou que nous n’avions jamais voulu reconnaître parce que trop dérangeants) s’avéraient décidément 'têtus'. Il est ainsi devenu, pour certains d’entre nous, de plus en plus difficile de les intégrer dans le cadre de la décadence développé par le CCI. Cependant, nous avons décidé de ne pas développer de discussions à ce sujet dans le cercle, car l’ampleur des questionnements allait bien au-delà du cadre que nous nous étions fixé initialement pour ce bilan. Aussi, si nous l’avons souvent rencontré, il n’y a pas eu un réel approfondissement collectif à ce sujet. Sur cette question, les diverses positions des membres du cercle ont beaucoup évolué. Finalement, on peut dire qu’au moins une idée est partagée : la théorie de la décadence, telle qu’elle découle des conceptions de Trotski, de Bilan, de la GCF et du CCI, n’est plus adaptée aujourd’hui à la compréhension du développement réel du capitalisme tout au long du XXe siècle, et notamment à compter de 1945. Bien sûr, une telle position critique est facilitée par le recul, et l’on doit, pour comprendre comment l’analyse de la décadence a pu voir le jour et être défendue pendant une bonne partie du XXe siècle, resituer le contexte historique. En ce qui concerne les communistes de la première moitié du siècle, cela peut s’expliquer assez facilement : les évènements qui se succèdent sur trois décennies, entre 1914 et 1945, sont tels (l’horreur de la Première Guerre mondiale, la Révolution russe, le stalinisme, le fascisme, le nazisme, la crise économique des années 30, puis la démesure dans la barbarie de la Seconde Guerre mondiale) qu’ils paraissaient donner du crédit à la thèse du déclin historique du capitalisme et confirmer les prévisions faites ; il était logique de ne voir dans le capitalisme qu’un système en putréfaction, à bout de souffle et décadent. Une question moins facile est de comprendre pourquoi, en dépit des évidences, on s’est raccroché ensuite si longtemps à ces schémas chez les révolutionnaires, et en particulier au CCI ? On peut tenir dans une certaine mesure en compte que l’ouverture d’une période de crise à partir de 1968 a réactivé la croyance dans la validité de ces schémas, bien que ce soit déjà au prix de l’escamotage d’une analyse en profondeur des raisons du formidable boom économique d’après guerre, sans précédent dans l’histoire du capitalisme. Mais, aujourd’hui, avec le recul dont on dispose au bout des années 1990, quatre-vingt-six ans après la Première Guerre mondiale, une telle fixation relève de l’attitude dogmatique et exprime un refus de prendre en compte la réalité.   A partir des principaux points de remise en question évoqués lors des discussions, ces notes tentent d’aller un peu plus loin en dégageant des pistes de réflexion pour réinterpréter la dynamique du capitalisme au XXe siècle. Elles s’appuient et reprennent des éléments de certaines contributions de camarades du cercle. Des points sont justes mentionnés, d’autres plus développés, mais bien des aspects ne sont pas abordés (et certains importants comme, par exemple, la question du capitalisme d’Etat). La période d’après 1945 est trop rapidement vue ; en privilégiant la mise en évidence des grandes tendances, des points essentiels comme la Guerre froide ne sont pas traités. Alors, pourquoi des notes et non pas un texte achevé ? Il ne s’agit pas ici de prétendre développer une théorie alternative, complète et cohérente, ni de présenter une réflexion aboutie, résultat d’un cycle de discussions (qui n’a pas eu lieu). Ces notes, en posant des questions, en proposant des éléments de réponse (parfois sous simple forme d’affirmations), veulent ouvrir des perspectives de discussion et inciter à un approfondissement nécessaire. L’élaboration d’un nouveau cadre théorique ne pourra résulter que d’une discussion profonde et systématique élargie à tous ceux qui perçoivent l’obsolescence des anciens schémas.

 

La décadence du capitalisme d’après le CCI

 

Extraits de la brochure du CCI : La Décadence du capitalisme (version en français, 1981)

 

'(…) La période de décadence d'une société ne peut donc être caractérisée par l'arrêt total et permanent de la croissance des forces productives, mais par le ralentissement définitif de cette croissance. ª (p. 47.)

 

'Ce qui caractérise la décadence d'une forme sociale donnée du point de vue économique est donc :

1° un ralentissement effectif de la croissance des forces productives compte tenu du rythme qui aurait été techniquement et objectivement possible en l'absence du freinage exercé par la permanence des anciens rapports de production. Ce freinage doit avoir un caractère inévitable, irréversible. Il doit être provoqué spécifiquement par la perpétuation des rapports de production qui soutiennent la société. L'écart de vitesse qui en découle au niveau du développement des forces productives ne peut aller qu'en s'accroissant et donc en apparaissant de plus en plus aux classes sociales ;

2° l'apparition de crises de plus en plus importantes en profondeur et en étendue.' (pp. 48-49.)

'La Première Guerre mondiale mit en évidence que le développement atteint par le capitalisme au début du siècle était devenu définitivement trop important par rapport aux capacités d’absorption du marché mondial. La planète entière achevait d’être partagée entre les principales puissances capitalistes. Les nouveaux venus sur le marché mondial, l’Allemagne ou le Japon, par exemple, ne pouvaient plus se développer sans mettre en question le partage existant et cette remise en question ne pouvait être faite que par la guerre.' (p. 11.)

 

'Tous ces symptômes économiques nés avec la Première Guerre mondiale et développés au cours de la crise 1929-38, sont demeurés dans la période suivante en constante aggravation. La période du capitalisme après la Deuxième Guerre n’est qu’un moment dans le déroulement du nouveau cycle qui caractérise la vie générale du système depuis 1914, à savoir : crise-guerre-reconstruction.' (p. 64.)

 

' La croissance du capitalisme d’après la Seconde Guerre mondiale (…) du fait qu’elle se fondait sur la reconstruction (…) était une continuité du déclin qui avait précédé la guerre. Le maintien par le capitalisme au cours de cette période d’une production d’armement suffisamment importante pour constituer un aiguillon fondamental de la croissance, représente une deuxième manifestation importante de cette continuité.' (pp. 62-63.)

 

' (…) De quelque façon qu’on l’envisage, ce ‘développement’ [des forces productives depuis la Seconde Guerre mondiale] constitue en fait le plus grand ralentissement que la croissance des forces productives de l’humanité ait connu jusqu’à présent. Jamais auparavant le contraste entre ce qui est possible et ce qui est effectivement réalisé n’atteint de telles proportions.' (p. 69.)